Sur la réputation de Saint-Antoine, une confrérie charitable de la Maison de l’aumône va s’installer près de Grenoble, et se consacrer exclusivement aux soins des ardents. S’élevant en hôpital, elle va prospérer extraordinairement et faire preuve d’un savoir-faire médical et chirurgical. Le prieuré de Saint-Antoine-en-Viennois sera institué en 1297 chef d’un puissant ordre hospitalier bénédictin, celui des chanoines réguliers Antonins. À son plus grand rayonnement, au XIVe siècle, l’ordre comptera 41 commanderies générales, 200 préceptories et 400 hôpitaux, en Allemagne, France, Italie, Espagne et jusqu’à Jérusalem. La préceptorie anthonine d’Issenheim, en Alsace, va léguer en 1512-1516 une des plus significatives peintures de l’art occidental, le polyptyque de Mathis Gothart Nithart, dit Mathias Grünewald, représentant la tentation de Saint-Antoine. Le déclin puis la dissolution par rattachement à l’ordre de Malte en 1776 viendront de la diminution des ressources, proportionnelles à la baisse des épidémies d’ergotisme, et de la concurrence d’autres ordres charitables mieux implantés. Le développement du drainage, le remplacement de la culture du seigle par celle de la pomme de terre, feront disparaître l’ergot des céréales. Un Ordre Antonin Maronites subsiste actuellement au Liban.
Aymar Falco est un chanoine de l’ordre des Antonin qui rédige en 1534 l’histoire de Saint-Antoine en Viennois, à partir de légendes et de faits historiques plus ou moins vérifiables de nos jours. L’auteur estime très peu probable la véracité historique qu’il consigne, selon laquelle, en 1070 un chevalier du nom de Joscelin de Châteauneuf, fils du seigneur de la Motte-Saint-Didier en Viennois, accompagné par son beau-frère Guigues Didier, aurait rapporté en Dauphiné les reliques de Saint-Antoine l’Égyptien, que le Basileus de Constantinople lui aurait offert en remerciements de ses services. On est en droit de douter qu’un tel cadeau ait été fait, au détriment de la communauté locale qui devait les posséder, au bénéfice d’aventuriers venus de l’ouest que les grecs considéraient comme des quasi-barbares.
Toujours est-il que ces reliques étaient bien en Dauphiné en cette fin du XIe siècle. Le pape Urbain, scandalisé qu’une telle faveur soit réservée à un laïc, aurait obligé Joscelin à s’en dessaisir au bénéfice des clercs. Le récit d’Aymar Falco se poursuit, plus réaliste. Vers 1088, les bénédictins de Mons Major fondent un prieuré à la Motte-Saint-Didier. Un pèlerinage s’y développe sur la réputation du Saint, guérisseur du mal des ardents. L’année suivante, un jeune noble et son père, Guérin et Gaston de Valloire, après la guérison miraculeuse du fils, font le voeu de fonder une communauté laïque pour gérer un hospice et y soigner les malades. Ils connaissent une réussite exemplaire. Les hospitaliers de Saint-Antoine vont construire un grand hôpital aux portes du prieuré bénédictin pour soigner les démembrés. Une première église romane est également construite. Elle brûle mystérieusement. Les travaux de la grande église gothique actuelle débutent en 1119. Les frères de l’aumône et les bénédictins vont entrer en vive concurrence sur des questions de collecte des offrandes, laquelle durera jusqu’en 1297. Mons Major sera chassée manu militari, et le pape Boniface VIII élève la confrérie en ordre des chanoines réguliers antonins. Ce bâtiment et l’ordre vont prospérer jusqu’au XVIe siècle, période néfaste de saccages menés par des bandes de pilleurs aux ordres du huguenot baron des Adrets. L’église est ravagée, l’hôpital détruit. L’ordre antonin s’en remettra difficilement au siècle suivant. Après son incorporation dans l’ordre de Malte en 1774, l’abbatiale sera laissée à l’abandon. Classée monument historique dès 1840 par Prosper Mérimée, l’église et les restes des bâtiments conventuels bénéficieront de différents travaux de réfection. Bien que magnifique encore, elle n’est aujourd’hui que l’ombre de ce qu’elle fut. L’immense parvis et son mur de soutènement, le portail monumental et le grand escalier sont classés en 1993. La générosité de mécènes privés permet toutefois le relèvement de certains bâtiments du grand complexe antonin d’autrefois. Le village de Saint-Antoine-l’Abbaye, situé entre Grenoble et Valence, est labellisé « Plus beau village de France ».
Si le lecteur veut bien visiter le village de Saint-Antoine l’Abbaye, il trouvera sur l’autre rive de l’Isère à 30 kilomètres de là, sur la commune de Saint Laurent en Royans, au lieu dit Combe-Laval, un méthochion orthodoxe qu’il pourrait aussi venir admirer. Il s’agit du Monastère Saint-Antoine le Grand, dépendance du monastère de Simonos Petra au Mont Athos (Grèce). Sa petite église vouée à Saint Silouane est totalement peinte, de façon très remarquable.
La couverture du livre imprimé Cité Céleste représente un chérubin peint par l’artiste russe Yaroslav DOBRYNINE au plafond de cette église.